SOMMAIRE Bulletin 178 2è tr 2007 Les festivités du Têt et 48è anniversaire Sauvegarde du passé Echo du Mémoire de l'ALAS. Hommage à Un petit chef d'oeuvre de traduction. Epilogue Les fantomes de Hanoi. Entretien avec Mémoire de l''ALAS. Bon de commande
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SAUVEGARDE DU PASSE
SUITE DE LA RENCONTRE A.LA .S.-N.A.A.V.H. DU 7 NOVEMBRE 2006Des participants encore sous le charme de cette rencontre et de nombreux lecteurs n'ayant pu se rendre à cette journée mémorable ont souhaité trouver dans le Bulletin les textes des intervenants. C'est avec un grand plaisir que nous publions ceux qui nous ont été remis. D'autres demandent la création d'une rubrique « Echos du Mémoire de l'A.L.A.S. ». Idée que nous retenons. Le passé recèle souvent une éternité cachée et refait surface comme par magie. Ainsi les internautes peuvent découvrir actuellement sur leurs écrans le bel hommage de Pierre Laurin à Pham Duy Khiêm. Il semble destiné au travail entrepris par les « passeurs de mémoire » que nous sommes. Après la rencontre A.L.A.S. – N.A.A.V.H., nous le faisons nôtre pour ouvrir la rubrique demandée.
LE CHER LYCÉE DE NOTRE ENFANCE
On aurait beaucoup étonné le petit garçon que j'étais en septembre 1922 si, en ce lendemain de la Grande Guerre , on lui avait prédit que, au 21 e siècle, il raconterait son lycée Albert Sarraut à d'autres anciens élèves ! J'avais moins de 6 ans quand, du pont de l' « Azay-le-Rideau » et du mois de rêve que représentait pour les enfants une traversée en paquebot, la famille Grandjean a doublement plongé au lycée de Hanoï. D'abord, mon frère Norbert et moi en 11 e et 10 e , sous la férule de la gentille Mlle Godbille et de l'imposante Mme Gilles. Ensuite et surtout, notre père comme agrégé d'histoire dans les grandes classes, où il avait pour élèves Souvanovong, le futur Prince rouge du Pathet Lao, et son demi-frère, le Prince Souvana Phouma, qui, Premier Ministre du Laos 50 ans plus tard, chantait à l'ambassadeur de l'URSS les louanges de son ancien professeur.... Puis, notre père étant devenu censeur d'Albert Sarraut, nous avons habité, au lycée même, la villa de fonctions de l'avenue Brière de l'Isle. C'est là que, sous le soleil éclatant d'un dimanche de 1923, Norbert et moi avons, pendant des heures, abreuvé, arrosoir et gobelets en mains, la haie d'honneur assoiffée des tirailleurs tonkinois, avant la majesté fugitive d'un cortège, celui du nouveau gouverneur général Merlin, grand uniforme noir et or et bicorne empanaché, à qui faisait escorte l'escadron de lanciers de la Garde rouge, toutes oriflammes au vent.. Peu à peu, nous avons découvert le lycée, nos maîtresses de classe et nos camarades, de très loin les proviseurs successifs de l'époque, MM Milon et Coquelin. Et aussi le père Rossi, une figure, concierge depuis toujours, et sa volumineuse épouse, qui, tout sourire de ses dents laquées, vendait à crédit kaolaks et bonbons. En sorte que, ayant accumulé de sapèque en sapèque un découvert inavouable d'au moins 1,50 $, j'ai connu avec elle les affres du débiteur ! Le lycée comptait alors 800 élèves, dont 375 viêtnamiens, aussi bûcheurs en classe qu'acrobates en récréation au jeu de Dakao. Les pensionnaires, qu'on désignait d'un autre nom, portaient à l'époque un uniforme taillé dans un kaki dont je n'ai retrouvé nulle part ailleurs l'inimitable nuance caca d'oie. Nous admirions l'un de ces pensionnaires, un « grand » de 8 ème .Pendant la récréation, lorsqu'une dispute tournait au pugilat, un nom bruissait sur toutes les lèvres : « le petit Calard ! ». Poussé par les autres, plutôt chétif mais doué d'un étonnant charisme, il pacifiait les belligérants en peu de mots... Comme toutes les sociétés, le lycée avait sa culture propre. Son idéal d'alors était « le type fleg », digne, modeste, serviable, maître de lui comme de l'Univers. Quand un camarade renâclait à rendre un service, on lui disait : « Allez ! sois fleg ! » Le petit Calard, que j'ai perdu de vue, était le type fleg et, dans les savants colloques judiciaires sur la médiation où j'intervenais, son nom, sans qu'il l'ait jamais soupçonné, est devenu le symbole du médiateur-né. Les trois mois de vacances des professeurs (mais pas du censeur) se passaient à Chapa ou au Yunnan, où conduisait la voie ferrée de Haïphong à la Chine. C 'est à Chapa, alors naissante, qu'en 1923, après une journée de train, une nuit à Laokay, et 40 km à cheval, nous avons habité l'hôtel Jourlin, avec son verger de pêches succulentes, dans le parfum froissé des touffes de menthe et dans l'appréhension délicieuse de voir déferler sur nous en tsunami la masse sombre du Fan Si Pan, sommet de l'Indochine. D'autres professeurs poussaient jusqu'à Yunnanfou. Cette année-là, naquit une sorte d'histoire littéraire au Consulat de France, dont le titulaire n'était autre que M. Bodard père, le fameux « Monsieur le Consul », caricaturé par son fils romancier. Vivant en célibataire plutôt sybarite, il hébergea en sa résidence Madame de..., professeur de dessin, qui, du coup, ramena à Hanoï un futur demi-frère de Lucien Bodard, lui-même futur Prix Goncourt. Elle épousa ensuite le propre frère du romancier célèbre Marcel Aymé et l'enfant, devenu jeune homme, était le beau-fils du général en chef Aymé lorsque, hélas il fut massacré avec d'autres par les VM au jour sinistre du 20 août 1945. Ensuite, la carrière de notre père, devenu administrateur de la France d'Outre-Mer, nous exila pendant quatre ans au lycée Chasseloup-Laubat de Saïgon, ou au territoire français de Kouang Tché Wan en Chine, avant de nous ramener à Albert Sarraut, à cheval sur la 5 e , la 4 e et la 3 e . Désormais, le proviseur était M. Loubet, le censeur M. Lebas, le surveillant général, M. Lafont. |