SOMMAIRE Bulletin 178 2è tr 2007 Les festivités du Têt et 48è anniversaire Sauvegarde du passé Echo du Mémoire de l'ALAS. Hommage à Un petit chef d'oeuvre de traduction. Epilogue Les fantomes de Hanoi. Entretien avec Mémoire de l''ALAS. Bon de commande
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ÉCHO DU MÉMOIRE DE L'A.L.A.S. Pierre LaurinHommage à Pham-Duy-Khiêm
Les débuts de mon amitié avec Khiêm se placent à l'époque où en 1937 Mr Loubet, proviseur de notre Lycée de Hanoï, me confiait la succession du jeune agrégé. Ce fut mon vieux maître de chinois, Gustave Durand, qui fut le catalyseur d'une amitié, laquelle devait durer jusqu'à la mort de celui dont j'avais pris la place au Lycée. Nous nous rencontrions souvent chez “Papa Durand”, boulevard Carnot, où Madame Durand nous régalait d'un excellent pho qu'en bonne Vietnamienne elle faisait suivre de nem croustillants. Au café Khiêm nous montrait ses dernières photos. C'était un perfectionniste, et d'un appareil très modeste il tirait de véritables tableaux dont notre ami, le peintre Inguimberty, plus d'une fois s'est inspiré. La guerre nous sépara pour un temps. J'avais rejoint De Gaulle à Londres, d'où il m'avait réexpédié dans la Chine de Chiang Kai Chek. Khiêm, lui, avait estimé de son devoir de s'engager dans notre armée qui venait d'être défaite. Trait caractéristique de ce Khiêm que beaucoup des nôtres disaient anti français alors que, dans le même temps, ses compatriotes jugeaient son geste “inconvenant”. C'est là tout le drame de Khiêm. Partagé entre deux mondes, héritier de deux cultures (il était de fond confucéiste), déchiré en politique entre ce qu'il devait à son pays et ce qu'il devait au nôtre qui l'avait aidé à gravir les degrés de l'échelle sociale, Khiêm n'a jamais été heureux de cette double appartenance. Aussi exigeant pour lui que pour les autres, il passait au Lycée pour un professeur sévère, ennemi de l'à peu près, du compromis, inflexible sur les principes, il n'eut jamais de complaisances pour ceux qui avaient fait de lui leur ambassadeur à Paris. Sa mission en fut écourtée et ne lui valut pour tout butin à la fin de son séjour parisien que le canapé or/argent de Grand Officier de la Légion d'Honneur. Sa camaraderie avec Senghor, qu'il tutoyait comme il tutoyait Pompidou, lui ouvrait toute grande la porte de l'Ambassade du Vietnam à Dakar, il la refusa. Comme par la suite il refusa de répondre aux appels qui lui venaient de ses compatriotes communistes. “Nationaliste, oui, m'écrivait-il alors, mais rien de plus qu'un statut d'indépendance négociée qui nous unira plus qu'il ne nous séparera.” Et il préféra, comme couronnement de carrière la vie obscure de professeur de Lettres dans un petit établissement privé de l'Ouest de la France. Sa fin tragique fut l'aboutissement d'une existence à laquelle n'avaient pas manqué les déceptions ou les amertumes. Celle d'abord de n'avoir pu guider son pays sur la seule voie qu'il jugeât capable d'assurer la liberté et la prospérité de son cher Vietnam. Celle ensuite – je peux le dire aujourd'hui – d'avoir été privé de cette union avec une Française qu'il désirait ardemment. Il est triste que la vie n'ait pas permis à Khiêm d'accomplir un destin qu'il avait rêvé et qu'il méritait. Pierre Laurin |