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BULLETIN 185
2è tr. 2009

Sommaire

Le mot du Président

Décisions du CA 05/03/09 - Nouveaux adhérents - Changements d'adresses - Nos joies-Nos peines. Agenda

Assemblée Générale du 28 mars 2009

Les festivités du TÊT KY SUU (2009) et les 50 printemps de l'ALAS :
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Echo du mémoire

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Les Oiseaux

Dossier : L'Hôpital GRALL de Saigon, miroir de l'histoire (suite)

Retrouvailles

Notes de lecture
  
 - Le dialogue interrompu : Auguste       Morere, un destin d'exception
   - Les Hévéas ou la saignée à mort
   - Rivière des Parfums
   - Addenda : "Félix Dioque     (1880- 1948), un colonial ...."

Expositions
   - Musée Guimet : "Dvârati : aux      sources du Bouddhisme en      Thaïlande"
   - Musée des Arts de l'Asie : "Six      siècles de peintures chmoise"
   - Soie d'Ailleurs

Le courrier des lecteurs

Bon de commande : Mémoire et Annuaire de l'ALAS

Relevé des cotisations. Message du Trésorier


RETROUVAILLES

 

Un article très émouvant du général Yves de Sesmaisons (1) a été publié dans le Bulletin du 2 ème trimestre 2008 de l'ANAI (Association Nationale des Anciens et Amis de l'Indochine et du Souvenir Indochinois) :"Hommage à mon chirurgien Viêt Minh". 57 ans après, le général Yves de Sesmaisons évoque "ce temps lointain" où, seul officier français survivant de la bataille de Vinh Yen (janvier 1951), il est transporté dans la grotte de l'hôpital de Kep. Un séjour de quatre mois "seul parmi les bo doï blessés" comme lui.

"Là, dit-il, je découvris une équipe médicale dont le seul souci était de venir en aide aux blessés d'où qu'ils viennent. Aussi je fis la connaissance du chirurgien en charge de mon cas. Ignorant son nom je l'avais appelé le docteur Dong, du mot vietnamien "dong chi", camarade ou ami.

C'était un homme affable parlant parfaitement le français et connaissant bien notre culture pour avoir fait ses études sous la direction du fameux professeur Huard. Il me demanda de lui raconter les circonstances de ma capture. Celle-ci ayant eu lieu de nuit dans les conditions dramatiques de l'assaut de la Brigade 308, il me cita avec bonhomie la phrase prononcée une nuit par Turenne, au cours d'une bataille de la Guerre de Trente Ans : "Qu'on me baille une lanterne… que je vois où sont mes soldats"…"Vous auriez dû faire de même" me dit-il avec humour.

Après plusieurs opérations réalisées dans des conditions inouïes et avec des "moyens très précaires", le docteur Dong réussit à sauver cet officier grièvement blessé, notamment à la face. "Mais mon éloge à ce chirurgien viêt ne s'arrête pas là, écrit le général Yves de Sesmaisons… grâce à ses bons soins, je fus déclaré guéri et livré au poste de gendarmerie le plus proche. Je venais de vivre, si j'ose dire, le paradis de ma captivité. Alors débuta une longue errance qui me conduisit à la prison de Yên Thé, au pénitencier de Thaï Nguyen, puis à celui de Tuyen Quang, enfin aux camps 15 et 113."

Au cours de ce calvaire, marchant pieds nus encadré par deux gendarmes sur la R.C .3, il est "dépassé" par un cycliste lourdement chargé. C'était le bon docteur Dong qui rejoignait un autre poste de secours. "Me reconnaissant, il mit pied à terre et vint vers moi. Il me demanda de mes nouvelles et me prodigua des encouragements. J'en avais bien besoin, accablé que j'étais par ma situation peu enviable… j'étais harcelé par la souffrance de mes pieds douloureux et la faim me tenaillait !"

Le cycliste disparut à l'horizon…"Je pense à lui avec une immense reconnaissance et beaucoup d'amitié.". Ainsi se termine cet hommage dont les quelques extraits ci-dessus montrent ce que ce témoignage a d'unique et de précieux. "Faisant fi d'une idéologie de haine, le Docteur Dong est resté fidèle au serment d'Hippocrate (2)"

Mais cette histoire ne s'arrête pas là.
Notre ami NGUYEN Kim Luan à l'occasion d'un dîner, en mars 2008 avec le général de Sesmaisons, a pu identifier le Docteur Dong. C'était son beau-père, le professeur TRINH Van Tuât, décédé le 5.12.2008, à 97 ans;

Voici le courrier qu'il a adressé le 9 août 2008 au général de Sesmaisons :

Cher Monsieur,

Je suis très heureux d'avoir de vos nouvelles suite à notre rencontre inopinée au dernier congrès de l'ANAI. Votre article chaleureux et détaillé ainsi que votre lettre m'ont beaucoup ému car ils raniment le souvenir encore vivace de mon beau père, le Professeur TRINH Van Tuât, ce grand humaniste qui a traversé paisiblement le 20 ème siècle, jalonné de tant de passions et de drames.

J'ai eu la chance de vivre pendant plus d'un quart de siècle sous le même toit que lui à Sceaux, pas très loin de chez vous et j'ai pu bénéficier de ses expériences comme de ses souvenirs, ce qui m'a permis de l'identifier immédiatement comme votre chirurgien "Vietminh".

Afin de mieux vous le faire connaître, je me permets de vous adresser sa biographie rédigée par son fils, le docteur TRINH Dinh Hy le jour de sa mort, le 5 Décembre 2007 entouré de sa femme, de ses cinq enfants, de ses treize petits-enfants et de neuf arrière-petits-enfants dont deux sont également petits-fils de Jean Tranie, votre camarade de la promotion Saint-Cyr 1948-1950. Comme quoi, le monde est bien petit !!!

Je profite de l'occasion pour vous relater une anecdote qu'il m'a racontée vers le début de sa carrière professionnelle à Hanoi dans les années 1939-1945. Un jour il a été convoqué par un général français à l'état-major pour un entretien urgent. Très inquiet, il se rend à cette convocation et sur place, le général lui a expliqué le motif : un jeune légionnaire a demandé à ses supérieurs, dans sa dernière lettre avant de se suicider, de rembourser au Docteur TRINH un certain montant d'argent avec sa paye. Or apparemment, ce soldat n'a pas eu de soins dentaires et il n'est pas adepte des jeux de hasard. Le général curieux aimerait connaître la nature de la dette de ce soldat.

Et le Dr. TRINH se souvient d'un militaire français qui, un jour est venu le voir à son cabinet pour lui demander d'enlever de sa bouche un appareil dentaire. Après examen, il s'avère que le bridge en question est très bien réalisé et qu'il ne comprend pas le sens de la demande du patient. Le soldat lui avoue alors qu'il a besoin d'argent pour envoyer à sa femme malade et qu'à cours d'argent, l'or du bridge l'aidera à résoudre ce problème. Spontanément, il lui a proposé ce prêt sans aucun écrit car il n'a pas le cœur de détruire un travail si bien fait qui, plus est, nécessaire à la santé du soldat.

Son humanisme va bien au-delà des idées politiques, religieuses et raciales et cela malgré deux drames qui ont marqué profondément sa vie :

- son jeune frère, simple fonctionnaire, est mort sous les bombes françaises en 1949 lissant une jeune veuve et deux enfants dont le plus jeune a moins d'un mois.

- sa belle-sœur, épouse de son grand frère est morte en 1953 à Thanh Hoa (province au sud de Hanoï) d'une crise d'asthme suite à un choc. Elle a assisté pendant la journée à la mise à mort d'un couple de lettrés, ses hôtes, qui ont hébergé toute la famille TRINH, réfugiée de guerre depuis plusieurs mois chez eux. C'est l'époque de la terreur déclenchée par le Vietminh pour appliquer la Réforme Agraire à la "chinoise" afin d'éliminer très tôt dans les zones dites "libérées" les intellectuels et petits propriétaires terriens ennemis potentiels du communisme pur et dur.

Pour terminer vous pouvez dire à votre camarade Monsieur André Dubus, que je suis aussi un ancien du Lycée A. Sarraut et que je répondrai avec plaisir à son courrier.

Je vous prie de croire, Cher Monsieur, à l'expression de mes sentiments les meilleurs.

Cette lettre était accompagnée de la biographie de son beau-père.

Biographie du professeur TRINH Van Tuat

Né à Hanoi en 1910 d'une famille nombreuse et modeste, M. Trinh a suivi les études secondaires au Collège franco-vietnamien Buoi, avant de terminer ses études médicales à l'âge de 27 ans, à la faculté de Médecine de Hanoi sous la direction du Professeur Pierre Huard. Encouragé ensuite par sa mère, il a pu poursuivre sa spécialisation en Stomatologie à Paris, grâce à plusieurs emprunts.

De retour à Hanoi, il ouvrit son cabinet médical, se maria et vit la naissance de ses 3 premiers enfants, juste avant que la guerre d'Indochine n'éclate en 1946, avec son lot de désarroi, d'exode et de séparation.

Après un séjour mouvementé dans les provinces méridionales du Tonkin jusqu'à Thanh Hoa dans la zone tenue par le Viêt Minh et tant que médecin et enseignant à la Faculté de Médecine, il choisit de retourner à Hanoi en 1953, avant de migrer vers le Sud-Viêt Nam après les accords de Genève.

Reparti ensuite à Paris pour préparer et passer le concours d'agrégation en 1955, il devient Professeur à la Faculté de Médecine de Saigon, Assesseur du Doyen et Directeur de l'Ecole Dentaire de l'Hôpital Binh Dân, fonctions qu'il occupait jusqu'en 1969, date à laquelle il est venu en France pour s'y installer définitivement avec sa famille.

Ainsi se termine, 57 ans après, l'histoire de la rencontre dans la tourmente de la guerre de deux personnalités d'exception. Nous tenons à remercier notre ami Nguyen Kim Luan de nous les avoir fait découvrir.

L.B.

Note1 : Dans "Les soldats perdus. Prisonniers en Indochine 1945-1954" Paris Indo Editions 2005, il fait le récit de sa captivité "Cai bat et Cai phen"

Note2 : Serment que prêtent les médecins lors de la soutenance de leur thèse.