BULLETIN 184 Sommaire Assemblée Générale du 28 mars 2009 : Convocation Le Cercle de l'ALAS-Les Repas à Paris Festivités du 50è anniversaire de l'ALAS L'année KỶ SƯỬ Bulletins d'inscrition aux festivités du TÊT et 50è anniversaire de l'ALAS Connaissez-vous le "Chung Chê" ? Parcours d'un historien du Vietnam. Interview de l'auteur, Philippe Papin, par Marcus Durand Dossier : L'hôpital Grall de Saigon, miroir de l'Histoire 87è Congrès de l'Union des "A" Notes de lecture Expositions Bon de commande "Mémoire du Lycée Albert Sarraut"
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LES COMBATS DE BUFFLES
Au Viêt Nam, les combats d'animaux sont des distractions très populaires: combats d'oiseaux, de poissons, de grillons, de coqs, accompagnés de paris et de récompenses; souvent très importantes. Durant les années de guerre et la terrible décennie 80, les combats de buffles traditionnels disparurent ou furent remplacés par des simulacres de luttes avec de braves buffles de labour qui n'étaient pas sacrifiés comme l'exigeait la coutume et retournaient travailler dans les rizières Les buffles de combat dont la morphologie est particulière, étaient rares et chers. A nouveau, on peut assister aujourd'hui à ces luttes à Saïgon ou ailleurs. Mais quelle est leur origine ? Comme toujours au Viêt-Nam, on la trouve dans une légende. Il y a environ dix-neuf siècles, des pêcheurs originaires de Tanh-Hoa, en perdition dans le tourbillon de la mousson, accostèrent au pied de la colline de Thap Son, située dans la presqu'île de Dô Son. Tempêtes et sècheresses se succédèrent jour et nuit, les pêcheurs implorèrent les divinités de ce rivage. Divinités, pour eux, inconnues. Le 10 ème jour du 8 ème mois, les éléments s'apaisèrent brutalement. Au cours de la nuit, une nuit de rêve, dans les reflets d'argent de la lune jouant à cache-cache entre les nuages et la mer, surgit un vieillard dont la belle chevelure et la barbe blanches ondulaient sous la brise. Il agitait un bâton noueux en direction de deux énormes buffles blancs, dont les têtes et les cornes s'entrechoquaient avec fracas. Le vieillard semblait éprouver un grand plaisir à les exciter du geste et de la voix… Au moment de leur disparition, une ondée bienfaisante rafraîchit la terre. C'est alors que , remis de leur effroi, les pauvres sampaniers réalisèrent que le génie de ces lieux venait de se manifester. Cette apparition nocturne se répéta à plusieurs reprises. Nul doute, ce vieillard était le génie tutélaire de la presqu'île et le combat de buffles (choi trâu), sa passion favorite. Les pêcheurs et les habitants se cotisèrent pour pouvoir organiser des combats de buffles et édifier un temple en son honneur. Ainsi obtiendraient-ils sa protection et ses faveurs. Ils purent mentionner les dates de la construction du temple avec une inscription sur son frontispice :" Sous le règne de Ly Thanh Tôn (1054-1059)", mais pas le nom du génie bienfaisant. Celui-ci ne le leur avait pas fait connaître. Dans un grand recueillement, des rites évocatoires furent accomplis. Un plateau de riz fut déposé en offrande à l'intérieur du modeste temple dont la porte fut soigneusement close. En l'ouvrant quelques jours après, les pêcheurs découvrirent, stupéfaits, l'empreinte des traces d'un oiseau sur le plateau. Ils l'effacèrent et refermèrent la porte avec précaution. L'empreinte réapparut le lendemain à l'identique.. Considérée alors comme la manifestation de la volonté du génie, on l'honora à partir de ce jour sous le nom de Diêm Tuoc Dai Vuong ("Grand Seigneur de l'Empreinte du Moineau"). Désormais sous sa protection, les pêcheurs et leurs descendants, bravant les périls de la mer et les luttes intestines, créèrent un, puis deux, puis trois villages. Telle est l'origine du canton de Dô Son. Des brevets royaux récompensèrent le génie de son action tutélaire. Si les plus anciens ont disparu, restent ceux des règnes de Canh Tinh, des Lê postérieurs. Les empereurs Tu Duc, Dong Khanh, Duy Tan et Khai Dinh ont, les derniers, reconnu solennellement les mérites du "Grand Seigneur de l'Empreinte du Moineau". Un temple de briques a remplacé l'humble temple primitif. Depuis, à Dô Son, le 10 ème jour du 8 ème mois, jour de la fête du Génie de la Mer , se déroulaient des combats de buffles sur une esplanade située non loin du Grand Hôtel. Comme les corridas, ils étaient organisés avec des animaux sélectionnés à partir d'un certain nombre de critères, et selon un programme codifié, dont voici un bref aperçu (1) :
Seuls combattent en demi-finales puis en finale trois buffles de Dô Son, deux de Dô Haiet un de Ngoc Xuyên. Les buffles sont amenés sur l'esplanade, escortés de porteurs de parasols, d'armes cultuelles, de bannières, de tam-tams résonnant sans interruption et d'un palanquin. Les combattants sont face à face. La lutte est parfois acharnée. Celui qui quitte le premier l'enceinte rituelle est déclaré battu. Il arrive que le combat se poursuive à l'extérieur de cette enceinte. A la finale, on procède au classement des vainqueurs. Le village gagnant perçoit une prime. Vainqueurs et vaincus sont solennellement sacrifiés en l'honneur du génie. Des parts de viande sacrée sont distribuées aux habitants ayant participé aux frais d'achat et d'élevage. Cette fête annuelle est très populaire. Environ dix mille personnes y accourent. Bon nombre pour se distraire, les "aficionados" pour suivre les combats en connaisseurs. Des paris élevés sont engagés. Le récit de cette fête amènera peut-être certains lecteurs à refaire en pensée et avec nostalgie la grande promenade du Grand Hôtel à la Pointe des Blagueurs. Je me souviens qu'il y avait le Bureau de Poste, la Gendarmerie , le Pacific-Hôtel, des villas des deux côtés de la route dont celle du Résident, la Plage des Mathurins, le Pagodon avec ses décorations en faux style de pagode, sa terrasse et sa plage, à gauche de belles villas, le Restaurant de la pointe et ses annexes, le Cercle nautique et sa jetée…J'entends encore les cris de joie des enfants que nous étions jouant au milieu des vagues, accrochés à la chambre à air d'un pneu de camion, avec la peur des requins. Un pêcheur, la jambe sectionnée avait été sauvé de justesse. J'entends encore les airs de jazz provenant de la piste de danse sur fond de couchers de soleil magnifiques. "Cheval, cheval, quel bon temps" J'entends aussi, blottie dans notre villa Jacqueline, le lamento effrayant du vent tourbillonnant dans les filaos les jours de typhon. Sans doute le même précédant l'apparition du "Grand Seigneur de l'Empreinte du Moineau." ? LB ______________________________________________________________ (1) Il s'agit de larges extraits d'un article de Y. Ecarlat publié dans un numéro de la revue "Indochine", en 1942, d 'après les notes de M. Nguyên Van Liêm, Vétérinaire et de M. Ngô Quôc Côn, ex tri phu de Kiên. Bibliographie : "Un dimanche à Dô Son" - Revue "Sud Est", n° 6 - Novembre 1949. |