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SOMMAIRE Bulletin 180

Le mot du Président : TRANSITION - Partition à quatre mains

Décisionq du Conseil d'Administration du 13 sept. 2007 . Nouveaux adhérents
Changement d'adresses Nos peines - Messe des défunts de l'ALAS
Les repas à Paris - Le Cercle de l'ALAS

La vie des Sections

Californie
East America
Sud-Ouest
Marseille-Provence
Sorgues
Nice –Côte d'Azur

FONTENAY, 22 JUILLET 2007, UNE BELLE FÊTE

DOSSIER: L'ART DES TISSERANDS ET DES BRODEURS VIETNAMIENS

A TRAVERS LES RIZIERES

ALASIE TERRE DE POESIE

LES DIX ANS DU CLUB DES TRADUCTEURS DE POESIE DE HANOÏ

LE MOT DU TRESORIER

NOTES DE LECTURE

Vietnam, un dragon né de l'Indochine  

ALASWEB : Le palmarès du Lycée Albert Sarraut 1953-1954

VOUS AVEZ DIT : MEMBRE TITULAIRE A VIE ?

BON DE COMMANDE DU MEMOIRE

VOS CORRESPONDANTS

A  TRAVERS  LES  RIZIERES

 

Quelle leçon de sérénité, d'espoir, de bonheur prend celui qui, pour un jour fuyant la ville et les soucis, s'en va  à travers les rizières parcourir les sentiers de villages.

Tandis que le citadin commente fiévreusement les nouvelles et trop souvent cherche dans les palabres la solution des problèmes mondiaux, le paysan, lui,  travaille avec ténacité, avec optimisme, comme travaillaient sur ces mêmes terres ses ancêtres qui y sont ensevelis, comme travailleront  ses fils quand à son tour il ira y dormir.

Peu de gens connaissent réellement cette campagne tonkinoise dont on a trop dit qu'elle était monotone; mais si, en quittant les grandes routes, on s'en va, bien souvent au hasard, sur les chemins sinueux qui traversent les champs, quel charme, tantôt joyeux, tantôt mélancolique, on découvre à ce paysage du delta !  Mais surtout quelle impression de calme certitude émane de la terre où peine le laborieux paysan !

Il y a tout près de Hanoï, un chemin de campagne qui, s'embranchant sur la route de Hadong,  va rejoindre à Van diên la Route Mandarine. Et l'on ne peut imaginer plus belle promenade pour un dimanche égayé d'air vif et de soleil.

Le chemin suit les méandres d'un arroyo dont l'eau verte ou bleue, suivant la végétation et la couleur du ciel, contribue à la souriante fertilité des alentours. Le paysage n'est certes ni grandiose ni très pittoresque, mais sa beauté vient justement de sa simplicité, de sa rusticité et du travail des hommes qui lui donne une âme.

Cette belle journée de janvier était évidemment propice aux travaux de la campagne : dans toutes les rizières, dans tous les champs se répétaient les gestes séculaires d'une tâche jamais terminée, puisqu'elle est le symbole de la vie elle-même.

La lenteur du paysan est proverbiale, mais les silhouettes couleur de cu nâu qui parsemaient la terre brune étaient si nombreuses qu'il émanait du paysage une atmosphère d'activité intense et, plus encore, une impression de cohésion, d'effort commun. Magnifiés par l'ambiance toujours argent de la nature, les gestes du plus humble paysan semblaient pleins de noblesse. Je comprenais toute l'importance que l'on attache aux rites agraires dans les pays de civilisation chinoise. Je ne me lassais pas de regarder des théories de paysannes en chapeau rond trotter en fléchissant l'épaule sous la gaule pesante, l'envol des maillets de bois qui brisent les mottes ou les buffles gris paître l'herbe courte des diguettes, un enfant assis sur leur échine.

Les petits chemins pavés qui s'enfoncent entre les haies de bambou avaient tous l'air de mener à des villages heureux ; une ambiance réconfortante d'abondance montait de la lourde terre brune fraîchement remuée et des champs en culture où les femmes sarclaient les légumes soigneusement alignés.

Tout le long du sentier se trouvent des autels agrestes gardant le témoignage de récentes dévotions : baguettes d'encens à demi  consumées, papiers votifs et pétales encore frais. Une vieille femme s'avançait portant sur la tête un plateau de cuivre garni d'offrandes : riz nêp, bananes et les fleurs consacrées, tubéreuses, roses, ylang-ylang.

Comme des ilôts sur la plaine on voyait ça et là des pagodes entourées de banians. Dans l'une d'elles que décorait un kiosque à deux étages s'abritait l'école du village où le vieux maître en tunique molletonnée se promenait sous les filaos entre les buissons de roses et les cyprès nains. 

A l'horizon, émergeant des nuages se dressaient les trois sommets sombres du Ba-Vi ; le Tan Viên sacré qui rappelle les luttes d'un passé dramatique et que la légende a peuplé de génies.

En d'autres endroits, abandonnant l'espace libre des champs, le chemin se poursuit à travers les vergers. Longaniers touffus, et letchis dans lesquels à la saison des fruits, on suspend des tam-tams pour éloigner les oiseaux voraces; goyaviers aux branches torses, caramboliers et pamplemoussiers. Au bord de l'arroyo se promène le méditatif crabier, et le martin-pêcheur d'azur alertement cherche sa pitance.

Des femmes irriguant au panier un coin de rizière s'amusent follement des propos d'un garçon qui se repose, appuyé sur sa bêche.

Cette impression agréable par un jour de beau temps ne doit pas nous faire oublier que, s'il peut être insouciant ou naïvement heureux à ses heures, le pauvre paysan éprouve bien des déboires: inondations, sécheresse, invasions de parasites… Pour un jour idéal comme ce dimanche ensoleillé d'hiver, il y a les innombrables journées de l'été torride et bien des matinées d'aigre crachin où il est pénible de patauger dans la vase glacée.

Mais est-il plus heureux, celui qui, serré dans un veston, passe sa journée emprisonné dans un bureau ? Les paysans ont au moins la liberté des champs et le bonheur de la vie de famille. A travers les siècles - et même dans l'agitation de la vie moderne - le paysan d'Annam est resté fidèle au culte des ancêtres, et à cette vieille éthique tirée du confucianisme, fondée d'une part sur la nature - le sang et le sol - et de l'autre sur la tradition - l'expérience du passé.

C'est dans les champs qu'il faut aller pour le comprendre, et jamais encore je n'avais apprécié jusqu'à quel point cette campagne tonkinoise, même à proximité d'une grande ville, a su conserver son caractère patriarcal.

Au moment où le crépuscule jetait sur les rizières un dernier reflet rose, j'entendis résonner la cloche d'une pagode dont les vibrations semblaient se prolonger jusqu'à l'horizon, comme pour bénir la terre sacrée en perpétuel renouveau.

                                                    Hilda ARNHOLD -"Tonkin, paysages et impressions"
 Hanoï 1944

                                                    (article que nous a envoyé Robert Leparmentier. Nous l'en remercions vivement).