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SOMMAIRE Bulletin 180

Le mot du Président : TRANSITION - Partition à quatre mains

Décisionq du Conseil d'Administration du 13 sept. 2007 . Nouveaux adhérents
Changement d'adresses Nos peines - Messe des défunts de l'ALAS
Les repas à Paris - Le Cercle de l'ALAS

La vie des Sections

Californie
East America
Sud-Ouest
Marseille-Provence
Sorgues
Nice –Côte d'Azur

FONTENAY, 22 JUILLET 2007, UNE BELLE FÊTE

DOSSIER: L'ART DES TISSERANDS ET DES BRODEURS VIETNAMIENS

A TRAVERS LES RIZIERES

ALASIE TERRE DE POESIE

Fleuve Rouge
Le sonnet d'Arvers
L'hymne divin
Terre Adélie Terre promise

LES DIX ANS DU CLUB DES TRADUCTEURS DE POESIE DE HANOÏ

LE MOT DU TRESORIER

NOTES DE LECTURE

Itinéraire d'enfance
Le voyage d'une artiste coréenne en Normandie
Laos, la guerre oubliée
Le Journal de Victor Dubray au Viet Nam

Vietnam, un dragon né de l'Indochine  

ALASWEB : Le palmarès du Lycée Albert Sarraut 1953-1954

VOUS AVEZ DIT : MEMBRE TITULAIRE A VIE ?

BON DE COMMANDE DU MEMOIRE

VOS CORRESPONDANTS

TERRE  ADELIE

Terre promise 

Pièce Polaire en un Acte de Hoang T. Thiên avec reproduction des dessins de Paul-Emile Victor, spécialement exécutés pour la 16ème  expédition en Terre Adélie (Décembre 1965-Mars 1967). 

Avant-Propos 

Descendants de Boileau, classiques, puritains,
Soyez assez cléments pour mes vers libertins.
Car si dans mes propos j'ai pris quelque licence,
C'est par amusement, et non par négligence !

Décors :       Une rookerie de manchots Adélie
                     Sur la Base Dumont d'Urville 

Personnages : 

Taquinze,     vieillard blasé, fatigué, apparemment assagi
Taseize,       jeune homme impulsif, sentimental, voire innocent
Adélie,         femme sans âge, belle, froide, capricieuse.

 

TASEIZE

Voyons ces malheureux, ceux qui vont nous quitter
Pour aller retrouver leur lugubre foyer,
Et subir de nouveau les caprices d'un monde
Qu'ils croient civilisé et qui, pourtant les ronge !
Ils vont abandonner, qu'ils disent, sans remords
Cette terre qui leur a montré ses trésors
Puisqu'elle les aimait et les croyait fidèles
Pauvre Adélie, tu vois jusqu'où l'amour te mène !
Ces ingrats, que tu as élevés dans ton sein
Comme mère-manchot nourrissant ses poussins
Sont tous intoxiqués. Ils rêvent de familles,
De plages, de voiture et de fort belles filles
 Bref, des vulgarités appelées "joies terrestres",
Mon Dieu, est-il permis d'être à ce point grotesques ?   


ADELIE

Peut-être ont-ils raison, car il faut changer d'air
De temps en temps : l'homme est esclave de sa chair.
La nature est sublime, oui, mais pas assez vaste
Pour couvrir un défaut, celui d'être trop chaste !
Je sais que je suis belle, et encor je peux plaire
Mais pas toujours hélas, aux mêmes pauvres hères.
Je veux changer d'amants, platoniques bien sûr,
J'aime les jeunes gens, de corps sain, de cœur pur.
Les morveux, les tordus, les vieux os, je m'en moque
Qu'ils s'en aillent pourrir dans leur monde équivoque !

 

TAQUINZE

Sois pas amère, Adèle, essaie de me comprendre.
Avant de me vomir, laisse-moi me défendre !
Je t'aime, tu le sais, mais ça ne peut durer :
De neige est fait ton corps, et ton cœur de rocher,
Ensemble on a connu bien des joies et des peines
Sachons donc aujourd'hui nous séparer sans haine ! 

Tu croyais me comprendre. En fait, tu n'en sais rien..
Tu vas donc m'écouter, ce sera pour ton bien.
Et toi aussi, jeunot. Des jupes de ta mère
T'as encore les plis : ne sois pas si sévère !

Tes idées sur la vie, tu les gardes pour toi
Plus que partout ailleurs, ici le tact est roi.
Même si tu commets une seule imprudence
Tu pourras en baver et regretter la France !

TASEIZE

Nous t'écoutons, papa. De tes propos abscons
Je serais curieux de connaître le fond.

TAQUINZE, mélancolique

Il était une fois, au bord de l'Antarctique,
Débarquait un jeune homme, à l'allure énergique
C'était un homme fort, c'était un homme beau.
"Il passera l'hiver !", murmuraient les manchots.

Un an après, hélas, c'est un vieillard en loques
Amaigri, avachi, soufflant comme un vieux phoque
Qui, d'un regard vitreux, regarde l'horizon
Rêvant d'un bateau rouge au milieu des glaçons.
Sans doute, galopin, tu veux saisir la cause
Qui a pu engendrer telle métamorphose?

ADELIE

Tu ne lui diras rien, Taquinze, je t'en prie.
Car s'il en savait trop, il n'aurait plus envie
De rester avec moi.

 

TAQUINZE

Veux-tu la boucler, femme !
T'as besoin de personne, une fill' de ta trempe.

avec lassitude

La cause, eh bien mon fils, ce sont de menus riens
Qui, petit à petit, te serrent tels des liens.
Tu as beau te débattre, ils serrent davantage
Jusqu'au moment fatal où tu romps le freinage
Et te laisses aller, poussé par le blizzard
Vers un état malsain, royaume du cafard !
Que te dirais-je encor ? Sera-t-il nécessaire
De raconter des faits devenus légendaires ?
Quoi qu'il en soit, petit, un jour tu le sauras
Car tu vas recevoir la dose qu'il faudra.

 

TASEIZE

Tu n'oses plus parler, t'as donc peur d'Adélie ?
Dégonflé à ce point, mon vieux, c'est du joli !
Où tu les caches donc, tes qualités viriles,
Quinze mois d'hivernage, et te voilà sénile ? 


TAQUINZE, courroucé

Dis donc, mal élevé, fais gaffe à tes propos.
Avant d'ouvrir la bouche, il faut peser les mots.

un temps après, calmé

Quand tu auras longtemps vécu dans la sagesse,
Tu devras accepter ce genre de faiblesse.
Je me disais :"Darwin, quel fieffé menteur !"
Sa théorie [1] pourtant me laisse un peu songeur.

Enfin, passons. Ces choses-là sont délicates.
Je vais en discuter de façon adéquate
Sous peu, avec ma femme.

 
ADELIE

Et moi, je n'suis pas fière
De t'avoir, malgré moi, réduit à cett' misère !


TAQUINZE

Tout cela, chers amis, sans doute est déplorable
Mais ma vie n'en sera pas plus désagréable.
Car je vais retrouver ma petite maison,
Ma femme, mes enfants, douze charmants garçons.

Même si parmi eux, j'en découvre un treizième
Qui n'était pas prévu et me ressemble à peine
(C'est comme au jeu de bridge où l'on veut douze plis
Et que l'on réalise un grand chelem). Tu ris ?
Mais mon cher, nous vivons en pleine ère spatiale,
La télé-conception, c'est chose fort banale !



TASEIZE

Excuse-moi, papa. Ton histoire est hilare.
Je pense voir en toi un certain chef de gare
Cocu, battu, heureux. Après tout, c'est ton droit
De t'en féliciter. J'admire ton sang-froid.

 
TAQUINZE

C'est ta rigidité morale qui m'attriste.
Nul ne peut se targuer d'être né moraliste.
Certes, mais tu verras, face à la vérité,
Qu'on ne s'abaisse pas par son humilité.
Pendant des jours, mon fils, j'étais comme un idiot
J'ai attaché hélas, beaucoup plus qu'il n'en faut
D'importance à des faits n'en valant pas la peine.
Vivre heureux, sache-le, n'est pas question de veine !
Tu es un innocent, tu vois la vie en rose
Mais tu auras le temps d'aller au fond des choses
Cet hiver. Tu verras combien c'est éreintant
De travailler dehors souvent par mauvais temps.
Combien il est pénible, aux plus comme aux moins jeunes,
De croiser jour et nuit, toujours les mêmes gueules,
Ne pouvoir envoyer les intimes messages
Que par télégrammes, ces signaux de sauvages !
Et tout cela, gamin, ce n'est qu'un aperçu
De ton futur calvaire.


TASEIZE

Oh, papa, t'as trop bu;
De ton jargon, confus, démentiel, folklorique.
Se dégage une odeur fortement éthylique !
Je crois qu'il est grand temps que tu rentres chez toi
Et d'aller à Vittel pour y soigner ton foie.


ADELIE

Taseize a bien raison. Il faut être malade
Pour sortir devant moi de pareilles salades.
Mais je ne t'en veux pas, n'étant pas rancunière
Et pour te remplacer, j'ai déjà ton confrère.
Vas te détendre en paix. Quand tu seras guéri,
De te revoir chez moi, je serai très ravie.

 
TAQUINZE

Moi, revenir ici ? Mais t'es pas un peu dingue ?
Plutôt m'faire sauter la tronche avec un flingue !
De toi, de tes pingouins, j'en ai plein jusqu'au cou
J'irai plutôt à Ker [2]   pour y planter les choux.

 

ADELIE

Tu causes, causes, c'est tout ce que tu sais faire
Lorsqu'on se contredit, il vaudra mieux se taire.
Dans trois mois, dans un an, tu voudras revenir
Rien qu'à penser à moi  te fera dépérir.


TAQUINZE, pensif

Je veux que tes propos ne soient pas prophétiques
Mais qui peut éviter des moments nostalgiques
Dans sa putain de vie ? L'homme est un inconnu
Quand il est bien couvert, il veut être tout nu !

 
TASEIZE

Grand-papa, tes pensées savantes m'indisposent.
A vouloir t'écouter, on risque la névrose.
Je crois, comme Adélie, que tu vas regretter
Ses manchots, ses pétrels, ses skuas et ses damiers.

 
TAQUINZE

De tout ça, si un jour le souvenir m'appelle
J'irai au Muséum d'Histoire Naturelle.
Si je veux retrouver l'ivresse du blizzard,
J'irai dans un bistrot me taper un Ricard !
Si tout ça ne suffit, j'irai aux conférences
De Paul-Emil' Victor, qui sont, dit-on marrantes !


TASEIZE

Mais au fond, cher ami, nous sommes tous d'accord.
Dans un sens t'as raison, et moi je n'ai pas tort !
Pourquoi, chère Adélie, nous échauffer la bile,
Ta Terre est une escale, et non pas un asile ! 

Dis-nous que t'es heureuse, en voyant que nous sommes
Enfin de même avis. 

ADELIE, dégoûtée mais attendrie

Ah ! Qu'ils sont cons, les hommes !

FIN

Labo de Séismologie
Base Dumont-d'Urville, Terre Adélie
Mars 1966

Hoang T. Thiên

 

 

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