Mille ans de littérature vietnamienneUne Anthologie
Editions Philippe Picquier Poche– 603 pages – Publié en septembre 2002 – Prix 10,50€. Réaliser l'anthologie d'une littérature riche de très nombreux genres et couvrant un millénaire est une entreprise difficile. Des écrivains ont su la mener à bien avec une pagination raisonnable : NGUYEN KHAC VIEN et HUU NGOC, avec la collaboration de KY ANH, LE VAN CHAT, Françoise CORREZE , Mireille GANSEL, PHAM HUY THONG, YAO TRANG, THU LE, VU QUY VY et XUAN DIEU . Tout comme l'écrivain PHAN HUY DUONG qui dirige la collection Vietnam des Editions Philippe Picquier, ils jouent un rôle clé dans la diffusion en France de la littérature vietnamienne contemporaine. Écrivains, mais aussi traducteurs, ils font partie de cette lignée d'érudits, linguistes et philologues dont l'apport a été et demeure déterminant dans la connaissance de la culture française par les Vietnamiens et de la culture vietnamienne par les Français. En s'exprimant dans les deux langues, ils continuent à être des médiateurs irremplaçables dans les domaines de la littérature et de la francophonie. Ceci convient d'être souligné avant la présentation de cette anthologie.
PRESENTATIONDébut 1970, les Éditions en langues étrangères du Vietnam publient une « Anthologie de la littérature vietnamienne ». Quatre gros volumes allant du Xème siècle à l'époque contemporaine, salués quasi unanimement. Une refonte est faite en 1991 sous le titre « Panorama de la littérature vietnamienne », ouvrage repris et publié par les Éditions Philippe Picquier. C'est ce que l'on apprend dans l'avertissement de PHAN HUY DUONG en préambule de « Mille ans de littérature vietnamienne ». En directeur de publication rigoureux, il y souligne l'appartenance à l'état des Éditions en langues étrangères du Vietnam et ses conséquences : absence regrettable de certains auteurs du XXème siècle, non prise en compte de « l'importante production littéraire de la diaspora vietnamienne à l'étranger ». On peut ajouter un exposé partisan de l'Histoire du Vietnam en introduction. Il n'en demeure pas moins que ce livre est remarquable de par son architecture et son contenu. On y trouve trois grandes parties : « Littérature savante viet », « Littérature populaire viet », « Littérature orale des ethnies minoritaires », composées de sous-parties correspondant aux différentes étapes de l'Histoire tourmentée du Vietnam. Les extraits des œuvres présentées sont précédées d'une brève biographie de leurs auteurs dont on retrouve les 319 noms en index. Dans ce panorama de la littérature vietnamienne apparaît une culture originale aux multiples facettes, enracinée dans des valeurs très anciennes et qui, malgré les vicissitudes de l'Histoire, a su s'épanouir au contact d'autres civilisations, notamment la civilisation française. L'évolution de la langue et de l'écriture vietnamiennes à travers le "han ", le "chu nom", le quoc ngu en a été le vecteur (1). Au-delà, le lecteur découvrira quantités d'informations sur les évènements qui ont marqué l'Histoire de ce pays, sur son administration, sa population, ses croyances et modes de vie. En voici un bref aperçu.
FLORILEGEParmi les grands écrivains vietnamiens de langue chinoise, plusieurs pages sont consacrées – comme il se doit - à NGUYEN TRAI (1380-1442). Grand homme politique, compagnon des luttes de Le Loi contre les Ming, poète, écrivain. Il a laissé une œuvre abondante où apparaissent les deux qualités primordiales du lettré : la fidélité à son monarque et à son peuple ainsi que la pitié filiale. « Assurer la paix au peuple, tels sont les fondements des vertus d'humanité et de justice. » Lettré confucéen, NGUYEN TRAI souffre des intrigues de la cour et des injustices sociales. Il puise réconfort et sérénité dans la nature :
Dans le « Vaste recueil de merveilleuses légendes », NGUYEN DU (XVIème siècle) poursuit la tradition des récits historico-légendaires. « Le procès du palais du dragon » en est un bel exemple. la fois critique des mœurs ( ici la dépravation de la cour de LE) et moralité. « Il est dit que les hommes dans la vie ne sont que des passagers qui se suivent les uns les autres. La voie du Ciel est infaillible, on récolte le bonheur en faisant du bien, on ne peut jouir de la paix en faisant le mal. Ceci est une loi intransgressible à travers les siècles ». (Sentence rendue par le roi des dragons). Dans le domaine de la poésie en chinois classique, il y a les célèbres « Plaintes d'une femme dont le mari est parti à la guerre » de DANG TRAN CON (1710-1745) et de « La femme de lettres du Fleuve Rouge », de DOAN THI DIEM (1705 – 1748). C'est une période de sanglantes répressions qui ont marqué le conflit des Tay Son et des NGUYEN, et ces plaintes sont admirables :
La littérature vietnamienne en « chu nom » dont le premier texte conservé date du XIVème siècle compte de nombreux romans en vers, généralement des romans d'amour, dont le chef d'œuvre est « Kim Van Kieu » composé parNGUYEN DU(1765-1820). C'est l'histoire de Kim et de Kieu, follement épris l'un de l'autre. Au moment où va se réaliser leur mariage, les circonstances de la vie viennent briser leur rêve. D'aventure en aventure, Kim retrouve finalement Kieu qui a du subir toutes les déchéances. Malgré son mariage avec Van, la sœur cadette de Kieu, malgré les épreuves du temps, il épousera sa bien-aimée.
De NGYEN DU également, on appréciera dans cette anthologie l'extrait de son « Appel aux âmes errantes » dont l'accent pathétique a quelque chose de shakespearien.
De nombreuses œuvres de cette époque sont restées populaires. Littérature qui se caractérise par une sentimentalité complexe, un fatalisme bouddhique, une révolte étouffée contre le destin, des rêves de mondes paradisiaques mais aussi le refus d'accepter la soumission.
écrit CAO BAO QUAT ( 1809-1853). Il a été considéré par ses contemporains comme l'un des plus grands poètes de son temps. La littérature en « quoc ngu » commence à prendre véritablement son essor à la fin du XIXème siècle. Modernisation de la langue, développement du nationalisme marchent de pair dans les années 30. Parmi les poètes de cette période, le plus remarquable est assurément TAN DA, de son vrai nom NGUYEN KHAC HIEU (1888-1939). Son poème patriotique "Le serment des monts et des eaux » est très connu ":
Au cours des années trente, le groupe littéraire « tu luc van doan » co-fondé et animé par NHAT LINH (1908-1963), romancier, journaliste et homme politique entreprend une « révolution culturelle » dans le sens d'une occidentalisation marquée par l'influence de Beaudelaire, de Rimbaud etc… Elle donne naissance à une extraordinaire floraison dans tous les domaines de la vie littéraire et culturelle : nouvelles, romans, poèmes, pièces de théatre, essais, journaux. Ce groupe littéraire s'attaque à la féodalité, aux mandarins, aux mœurs et coutumes anciennes. Il cherche notamment à faire évoluer la place faite aux femmes dans la société. Dans le célèbre roman de NHAT LINH ( « Doan Tuyet », déchirure), l'héroïne, Loan, jeune institutrice moderne est écartelée entre son amour et son devoir filial. Elle estime que son sort est « celui d'une esclave qu'on achète, qui se prosterne devant ses maîtres pour devenir une machine à enfanter » Humiliée dans sa belle-famille, elle tue involontairement son mari. Après avoir été acquittée par le tribunal, elle tentera de refaire sa vie avec l'homme qu'elle a toujours aimé… On voit ainsi dans les fragments des œuvres des nombreux auteurs présentés dans la deuxième partie de « Mille ans de littérature vietnamienne », le rôle qu'ils ont joué dans l'évolution sociale, le développement des mouvements politiques, mais aussi leur vision de la guerre et les sentiments qu'elle inspire aux combattants.
(Extrait du poème « Les beaux et tendres jours d'autrefois » de PHAM HO ( né en 1926). On éprouve un réel plaisir à la lecture de la deuxième partie de cette anthologie qui nous offre un panorama de la « littérature populaire viet ». On y trouve avec bonheur des morceaux choisis de contes et légendes, contes égrillards, romans populaires, des poèmes et des proverbes :
Les textes des ethnies Muong, Tay, Tay-Nung, H'mong, Sédang, Rhadé, troisième et dernière partie de ce livre, dense, sont passionnants par l'expression, la saveur des images et la pertinence des observations. Vie rude de montagnards, dont les proverbes traduisent la mentalité :
Après ce bref aperçu de la richesse de la littérature vietnamienne, incitation à lire ou à relire cette anthologie, une conclusion s'impose.
CONCLUSIONL'univers intellectuel et moral sino-vietnamien empreint de valeurs confucéennes a su assimiler, au fil des siècles, les cultures d'autres civilisations.. En faisant évoluer leur langue nationale, leur mode de pensée, les Vietnamiens ont été grâce à des élités locales remarquables, les propres créateurs d'une culture et d'une littérature moderne.L.B.
NOTES :
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