TEMOIGNAGE
Hommage à des médecins dans la guerre d'Indochine.
J'ai appartenu comme caporal à la 9 ème DIC, débarqué à Haiphong le 6 mars 1946.
Sous la signature du Professeur Auguste Rivoalen « Souvenirs d'un médecin au Tonkin », dans votre revue je parcours le chapitre
« Hanoi 1946 – Pâques sanglantes : 21 avril ». Je n'étais pas à Hanoi ce jour-là, mais à Haiphong où se déroulaient d'autres incidents dont je conserve un souvenir précis. Un de mes camarades, par contre, dénommé François Peltier, était à Hanoi et se trouva impliqué dans la fusillade sanglante. Il fut blessé… légèrement certes puisque la balle qui le touchait traversa le pavillon de son oreille gauche puis arracha la pointe de sa mastoïde pour ressortir par son cou. Il guérit rapidement, sans séquelles.
François Peltier était, comme moi, étudiant en médecine de première année à la Faculté de médecine de Paris. Engagé volontaire pour la durée de la guerre, il était deuxième classe et faisait fonction d'infirmier. Il venait avec la 9ème division d'Infanterie Coloniale, de Tuttlingen en Bavière via la Cochinchine. Je devais le retrouver quelques jours plus tard dans des circonstances surprenantes. J'y reviendrai.
Ses aventures cependant ne devaient pas s'arrêter là. Le 3 août 1946 le convoi qui le conduisait comme infirmier à Langson était victime d'une embuscade à Bac-Ninh : le « guet-apens de Bac-Ninh ».
Le chauffeur du Dodge sur lequel il a pris place est tué dès le début de l'attaque. L'aide-chauffeur prend le volant après avoir basculé le corps. A son tour il est frappé d'une balle. C'est alors que François Peltier, dans un réflexe de survie, écarte l'aide-chauffeur et démarre le véhicule. Il est lui-même bientôt atteint par une balle en séton qui, entrée au niveau du pariétal droit ressort au niveau de l'os temporal droit, en effleurant la matière cérébrale.
Je le recevrai à l'Hôpital Lanessan à Hanoi. Il était conscient, mais son moral était au plus bas. Pendant que je le réconfortais dans l'attente de l'intervention du chirurgien (Docteur Delom) il me disait « Tu vois, à Pâques, c'était à gauche, aujourd'hui c'est à droite de mon crâne, demain ce sera au milieu ».
François Peltier a guéri ne conservant de l'aventure que quelques douleurs du dos et du bras. Il est rentré en France, a repris ses études de médecine, a été reçu au Concours spécial de l'Externat des Hôpitaux de Paris réservé aux militaires d'Indochine en 1947. Il a été le seul reçu d'ailleurs et nous avons estimé qu'il l'avait bien mérité. Il s'est passionné pour l'anatomie pathologique. Il a fait carrière à Beauvais dans le laboratoire d'analyse biologique qu'il avait créé.
Mais cette aventure médicale aurait-elle été possible sans des circonstances surprenantes qu'expliquaient certaines tensions internes à notre Unité ? Notre volontariat pour l'aventure en Indochine était contestable et contesté par beaucoup d'entre nous. Des mesures d'apaisement étaient nécessaires, notamment du côté du Service de Santé.
C'est ainsi qu'à peine débarqué à Haiphong, après un transit initial de quelques jours par le dispensaire Henri Rivière « négocié » avec les Vietnamiens, j'avais été transféré dans une école communale où, regroupé avec mes camarade de la 1 ère Ambulance de campagne, nous avions dressé tente et matériel sanitaire où nous accueillîmes notamment un cholérique et où nous vécûmes un « dimanche de Pâques sanglant ».
Nous étions là trois ou quatre étudiants en médecine de 1 ère année quand nous fûmes informés en mai qu'une session spéciale d'examens était organisée à l'intention des élèves de la Faculté de Hanoi qui, du fait du coup de force japonais, n'avaient pu subir normalement leurs examens. Il était ajouté : cette session spéciale est ouverte aux étudiants sous les drapeaux qui souhaiteraient s'y présenter.
Nous fûmes vivement invités à nous y présenter et, quelques jours plus tard, un Junker 52 nous transférait à Hanoi. C'est l'infirmerie de la Citadelle qui nous hébergeait.
Tout aussitôt nous prenions contact avec le Doyen Galliard qui nous reçut fort courtoisement. Nous lui faisions part de notre embarras : nous avions interrompu nos études depuis de nombreux mois ; notre impréparation était totale ; nous ne disposions d'aucun livre, d'aucune documentation pour nous préparer. Il se montrait compréhensif, nous expliquait qu'il limiterait le programme avec ses confrères Huard, Montagné ainsi qu'un Commandant Pharmacien-Chimiste. Il ajoutait : J'ai rencontré un jeune Commandant chirurgien qui prépare l'agrégation d'anatomie pour Lyon et qui serait heureux à titre d'entraînement de vous préparer… et c'est ainsi que nous fîmes connaissance des Professeurs les plus illustres de la Faculté de Médecine de Hanoi mais aussi du Commandant Trillat qui nous éblouissait par ses talents pédagogiques.
Le Service n'avait pas été pour autant négligé. J'étais affecté comme infirmier-major au 3 ème Fiévreux à l'Hôpital Lanessan, puis au 4 ème Fiévreux. L'enseignement qu nous fut prodigué était commun aux étudiants de 1 ère et 2 ème année de médecine et certains cours étaient partagés par des étudiants de 3 ème et 4 ème année. Les cours avaient lieu le plus souvent le soir à partir de 21h, parfois entre 13h et 15h.
Les examens vinrent bientôt. A l'exception d'un seul d'entre nous, tous furent reçus – notamment Peltier, Forestier, Deschamps et nous reprendrons bientôt ensemble nos études à Paris et la voie des concours.
J'y retrouverai le Doyen Galliard nommé à la chaire de Parasitologie. Il nous redra encore des services – il m'en demandera aussi. Malgré l'éloignement il continuait d'entretenir des relations étroites avec ses anciens élèves vietnamiens.
Je ne rencontrais que peu de civils, tant à Haiphong qu'à Hanoi. Toutefois, un étudiant en médecine français du nom de Paul Hocquet se compromettait à inviter à dîner les « hommes de Troupe » que nous étions. Je rencontrerai plus tard une pétulante étudiante en médecine du nom de Huguette de Gineste, et puis j'avais été impressionné au dispensaire Rivière à Haiphong par le courage (ou l'inconscience ?) d'une jeune vietnamienne, élève d'une institution religieuse, préposée à la fonction d'infirmière et dénommée Félicité Cardy. C'est elle qui me permit de retrouver par hasard un jeune noble originaire du même village que moi en Seine et Marne.
Mon livret universitaire, encore en ma possession, est toujours marqué des timbres attestant mes diplômes passés à Hanoi.
Mais mon histoire serait incomplète si je ne précisais qu'Edmond Trillat qui avait appartenu à la 1 ère Armée Française dont il avait suivi les batailles depuis Lyon jusqu'à Sigmaringen avait fait à son retour en France une brillante carrière d'orthopédiste à Lyon. Il est unanimement considéré aujourd'hui comme le père de la chirurgie du genou et ses élèves ont accédé pour la plupart à une réputation flatteuse. Je l'ai quelquefois croisé dans des congrès et conférences : il me témoignait à chaque fois une amitié empreinte d'une grande émotion pour les instants vécus ensemble.
Comment ne pas rendre également hommage à Fred Siguier qui après sa mobilisation en 1939 sera volontaire dans le Corps Expéditionnaire d'Europe septentrionale et la campagne de Norvège, puis ultérieurement engagé volontaire dans le Corps Expéditionnaire d'Extrême Orient en octobre 1944, affecté à la 1 ère Division coloniale d'Extrême Orient, puis affecté à l'Hôpital 415 et médecin traitant du Centre Médical des Troupes françaises d'Extrême Orient à Saigon.
Forte personnalité médicale, volontiers facétieux, il marquera de son empreinte l'Hôpital 415, rédigeant avec F.Blanc un guide clinique et thérapeutique à l'usage des Troupes françaises d'Extrême Orient et consacrera de savants travaux à l'amibiase.
Rentré en France, il sera nommé à Paris chef de service à l'Hôpital de la Pitié, membre de la Société Médicale des hôpitaux de Paris. Son œuvre est encyclopédique. Appelé à la Croix Rouge française, il y occupa pendant 20 ans la fonction de directeur de l'enseignement. Il fonda la première école de cadres infirmières en 1951 ; il fut un des pionniers de l'hospitalisation à domicile. Il fut nommé Professeur à la Faculté de médecine de Paris en 1963.
Toujours accueillant, disponible, c'était un phare et un refuge pour ceux qui le sollicitaient à Cholon et à Saigon.
Bien d'autres médecins débarqués avec Leclerc, moins brillants mais tout aussi dévoués et compétents, honorèrent le Corps de Santé dont Blanc, Chambon, Delom …
Certains y laissèrent leur vie.
Docteur Michel DEBERDT (e.r.)
Notre Maison
Berthemont les Bains
06450 ROQUEBILLIERE
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