Fête tonkinoise

Dans l'excellent « Connaissance du Viêt-Nam » de Pierre Huard et Maurice Durand, Editions E.F.E.O., chapitre VII : Calendrier et fêtes, on peut lire page 80 :
« Dans certaines maisons, on voit tourner des figurines que fait mouvoir l'air chaud produit par une bougie … »

Il s'agit ici, bien que furtivement évoqué, d'un évènement précis qui se répétait me semble-t-il chaque année lors de la fête de la lune, et qui émerveillait nos yeux d'enfants.
Le soir venu, à la vitrine de certains magasins  apparaissait une sorte de lanterne faite d'une armature de baguettes de bambou et recouverte de papier huilé ou enduit de paraffine et finement illustré de décors montagneux. Au centre de cette sorte de grand lampion, des bougies allumées provoquaient une ascension d'air chaud, faisant du même coup tourner un tambour dont le pourtour était curieusement relié par des cheveux fins à des silhouettes articulées de personnages en carton, et la rotation de ce disque agissait sur les cheveux qui à leur tour mettaient en mouvement les personnages dont l'ombre se projetait sur le papier translucide éclairé de l'intérieur par les bougies.

Véritable lanterne magique, qui nous offrait le spectacle d'un théâtre d'ombres où s'agitaient un laboureur poussant sa charrue, un buffle attelé à la charrue du paysan, un pêcheur taquinant sa canne, ou un sampanier courbé sur ses rames. La rumeur populaire  affirmait que ce spectacle reproduisait les scènes de la vie telle qu'elle se déroulait à la surface de la lune. Aussi m'arrivait-il souvent, les soirs de pleine lune, de chercher à l'aide des jumelles de mon père, ces créatures dont les ombres sur la lanterne suggéraient la vie, et qu'il me semblait parfois distinguer dans les taches bleutées que le disque lunaire portait.Un jour, intrigué par cette sorte de machine merveilleuse, j'ai réussi à obtenir que mon père s'en procurât une. A la maison, ce fut la fête !

L'émerveillement des premiers soirs passé, et l'impatience de découvrir les secrets de la lanterne aidant, l'objet magique subit un démontage méthodique qui laissait en place un enchevêtrement de baguettes de bambou et de papier paraffiné, le tout emmêlé dans un écheveau de fins cheveux. Le mystère prit fin à notre grand regret.Il m'est arrivé récemment d'accompagner mes petits-enfants à défilé aux lampions. En allumant la bougie placée à l'intérieur de leurs lanternes, je m'étais surpris à remarquer à voix haute pour plaisanter que les marionnettes avaient déserté les flambeaux. M'entendant, les enfants s'étaient exclamés en souriant: « Dady (ils m'ont surnommé ainsi) est dans la lune ». Raccourci inconscient et combien proche du souvenir !

Roger Rossi

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